Je me souviens des énigmes de mon père.

Après le repas du soir, nous restions parfois à table un long moment, mon père et moi. Il prenait une feuille de papier et un crayon et exposait une énigme, de la plus simple (celle des trains qui se croisent) à la plus complexe (celle des cinq maisons). J’apprenais à réfléchir, à distinguer l’essentiel de l’accessoire, à structurer l’information, à observer, à déduire et à me méfier des évidences. D’autres soirs, nous faisions des détours par le latin ou le grec pour découvrir le sens de quelque mot nouveau ou rare. J’apprenais leur histoire, celle qui les porte et celle qu’ils racontent, et leur couleur et leur force. D’autres soirs encore, quand l’air de l’hiver était bon, nous allions patiner dans la cour de l’école. Mais c’était plus rare. J’avais 7 ans, 8 ans, 10 ans, j’expérimentais tout à la fois la logique et l’inventivité, et j’inscrivais à jamais dans le même espace, celui du plaisir intellectuel, la démarche scientifique et le génie de la langue.